Texte original de Lionel Le Guen. Durée de lecture : 5 mns
Que penseriez-vous si, à la fin du cours, je demandais aux pratiquants de s’incliner devant moi avec obéissance et adoration ?
Vous seriez choqué non ?
Le mot sanskrit NAMASKAR a donné Namasté en Hindi. Il a un sens religieux « je salue le divin » . Mais aussi une connotation hiérarchique « je salue
un supérieur ».
Ce mot est associé à un geste, mains jointes, namasté/anjali mudra et une inclinaison.
Dans les salles de yoga ou les publications sur le yoga, il est fréquent d’entendre ou lire ce mot et voir ce geste. Mais qui alors évoque une croyance et une
soumission ? Qui pense saluer son professeur de yoga avec obéissance et adoration ?
En fait, Namasté est en Occident un véritable cliché du yoga. Cette salutation est vidée de son sens premier.
Ici, Namasté et Namasté mudra font partis de la déco. C’est la panoplie yogique dans une indianité fantasmée. C’est une appropriation culturelle pour le dire avec
les termes d’aujourd’hui.
De même pour le symbole ÔM, dont le graphisme agrémente nombre de salles de yoga ou de vêtements dédiés à la pratique… hindouiste donc.
Peut-on y réfléchir un instant ensemble ?
Devez-vous vous convertir à l’Hindouisme pour pratiquer le yoga ?
Devez-vous vous soumettre à un lien d’autorité avec votre enseignant de yoga ?
Quand un pratiquant à mes cours lance un « namasté » en arrivant ou partant, et joint les mains à la fin de sa pratique en s’inclinant devant moi, je lui
réponds « bonjour/au revoir » et « de rien/avec plaisir ».
Mais je ne lui renvoie pas son geste. Je ne joue pas à l’hindou.
Professeur de yoga depuis presque 20 ans aujourd’hui, j’ai été formé en Normandie. J’enseigne à Marseille. J’accueille un public français, parfois européen.
Pourquoi devrais-je saluer les pratiquants par Namasté et joindre les mains ? Pourquoi attendrais-je cela de leur part en retour ? Absurde.
C’est d’autant plus « à côté de la plaque » que le Yoga lui-même n’est pas hindou.
Dans son histoire, le yoga a été traversé par des courants religieux comme le tantrisme, le jaïnisme, l’hindouisme et d’autres encore. La base philosophique du yoga
provient des Veda, bien plus ancienne que ces religions. *
Mais plus encore, le yoga n’est pas une religion. Et la seule autorité à laquelle obéir et chérir, c’est son autorité intérieure, le Soi, notre conscience.
Je connais des croyants issus d’Asie, qui sont réellement choqués de voir des Bouddha, des Ganesha ou des ÔM comme éléments de décoration chez nous.
Pour eux, ce sont des supports de prière, utiles pour des rituels sacrés. Non parce qu’une tête d’éléphant sur un corps humain, c’est cool et sympa.
Quand je pratique le yoga, je ne me convertis pas à l’Hindouisme.
Ma posture est celle d’un enseignant, pas d’un gourou.
Mais allons plus loin s’il vous plaît.
Dans mes guidances, je propose la pratique de mudra (gestes symboliques), de mantra (sons, phrases chantées, vibrations). Est-ce à dire que j’introduis moi-même des
éléments religieux et culturels exotiques dans mes cours ?
Si l’on comprend bien le rôle d’un enseignant de yoga comme étant le gardien de l’attention chez le pratiquant, la fonction de ces techniques,
mudra et mantra, prend son sens didactique.
Reprenons le namasté/anjali mudra (mains jointes). En le pratiquant, chacun peut ressentir immédiatement une sensation de concentration, de centrage sur
son axe vertical. Ainsi une mudra amène une intention, comme un souhait pour sa pratique : être présent, dans l’attention à soi et à l’instant. Chaque mudra développe une qualité, une
intention chez celui qui la pratique.
Prenons le Pranava mantra (le son nommé ÔM chez les hindous). Sa pratique mène au contrôle du souffle, sa vibration donne corps à notre être et capte notre attention, nous relie au subtil. Il touche ainsi à toutes les dimensions que le yoga cherche à atteindre en nous. Littéralement, un mantra est un instrument de la pensée.
On comprend ainsi que ces techniques sont là pour développer l’état de yoga, c’est-à-dire amener tranquillité et lucidité en nous et dans nos actes. Voilà pourquoi
je propose ces gestes et chants dans mes cours, pour intensifier la concentration, la présence.
Mais pour autant, je ne cherche à convertir qui que ce soit. Je cherche pas à donner un goût indien à ma guidance. Je ne me place pas dans une culture qui n’est pas
la mienne. Il y a un objectif pédagogique pour atteindre Yoga, le discernement ontologique. Et ces outils, mantra et mudra sont utilisés uniquement dans le cadre de la
pratique et non en-dehors pour jouer à une identité culturelle et religieuse.
Alors quand vous aurez particulièrement apprécié ma guidance... Dîtes moi « merci », tout simplement.
… Et prenons ensemble un Namas-thé vert au jasmin ;)
* Lire YOGA, 2500 ans d’histoire, Clémentine Erpicum, 2020 éd. LaPlage.
Écrire commentaire